La Charte internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites, plus connue sous le nom de charte de Venise, définit les grands principes de la conservation et de la restauration des œuvres d’art. Deux de ces principes sont essentiels :
- La conservation, c’est-à-dire intervenir le moins possible, surtout sans jamais enlever de matière à l’objet.
- La réversibilité, qui impose qu’on puisse annuler une intervention sans détériorer l’œuvre, au cas où de meilleures techniques apparaîtraient plus tard.
Le problème des greffes dans la restauration du bois
Dans la restauration du patrimoine en bois, lorsqu’une pièce est endommagée par arrachement, xylophages, champignons ou autre, il faut greffer une nouvelle partie.
Mais pour que cette greffe tienne, on est souvent obligé de créer des surfaces planes pour l’assemblage, ce qui veut dire… qu’on enlève de la matière. Et là, on va à l’encontre des principes de la conservation.
Les méthodes de greffes traditionnelles dans la restauration du patrimoine :
La greffe, dans le milieu de la restauration de patrimoine, peut se faire via plusieurs méthodes.
La coupe en sifflet
Il s’agit de la technique de greffe la plus agressive. Elle enlève beaucoup de matières, et surtout, elle est très visible. La nature ne fait pas de lignes droites parfaites, et donc, cela saute aux yeux.
Le défonçage ajusté
Cette technique de greffe un peu plus subtil. On suit au plus près les manques, donc on retire moins de matière, et comme ce n’est pas rectiligne, c’est aussi moins voyant.
La technique « allumettes »
Pour des objets très précieux, on peut coller plein de petits morceaux pour épouser le manque au plus juste. C’est long, minutieux, mais ça respecte les grands principes.
Une solution innovante : la greffe par empreinte numérique
Cette technique, qui existe depuis une dizaine d’années dans la restauration de la pierre (voir Monumental, semestre 1, 2017), n’avait, à ma connaissance, jamais été appliquée au bois.
Après deux ans de recherche et développement, avec le soutien actif de l’École des Arts et Métiers de Metz, j’ai réussi à adapter cette approche au bois. Cela a nécessité de maîtriser les scanners 3D, les logiciels de post-traitement, et l’usinage numérique de haute précision.
Voici en vidéo ce qu’une greffe par empreinte numérique donne :

Principe et étapes de la greffe par empreinte numérique
- Je scanne en haute définition la zone manquante, comme une empreinte.
- Je traite le fichier 3D pour générer la contreforme, celle de la greffe.
- Je génère un programme d’usinage, avec la meilleure précision possible.
- J’usine la greffe dans une pièce de bois sélectionnée pour sa compatibilité.
- Je colle avec une colle animale réversible, comme la colle de poisson.
- J’affleure et je resculpte manuellement, si nécessaire.
Je suis aussi en train de développer une technique (qui n’est pas encore au point) qui me permet de préformer la sculpture avec la machine pour gagner du temps et être plus proche du rendu final.
Pourquoi cette technique change tout ?
Cette technique change véritablement la donne, car elle permet de respecter totalement l’intégrité de l’œuvre.
Avec la greffe par empreinte numérique, aucune matière n’est retirée sur la pièce d’origine, ce qui garantit une conservation maximale. La colle que j’utilise est réversible, comme la colle de poisson, ce qui offre la possibilité de revenir en arrière sans aucun dommage pour l’objet, conformément aux principes de la restauration.
De plus, la jonction entre la greffe et la pièce d’origine est extrêmement fine, donc très discrète à l’œil nu. Et dans le cas d’un arrachement, la greffe épouse naturellement la fibre du bois, ce qui fait qu’elle passe pratiquement inaperçue. C’est une approche à la fois précise, respectueuse et novatrice, qui ouvre des perspectives nouvelles dans la restauration du patrimoine en bois.